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    Nicolas de Staël

      

      

    Combien de temps me reste-t-il à vivre ? Combien de temps en aurai-je encore le courage ? Je n'ai pas la réponse, seulement la douleur.

     

    Mais je sais, instant après instant, que le bâton divin qui conduit mon souffle de l'expir à l'inspir est l'art.

    L'art incalculable, insondable, vertical et sensuel à la fois. L'Art.

     

    Créer est une magie à laquelle l'humain s'adonne pour exorciser le vide de son existence et étancher la soif de son essence. L'art est mon nectar, l'art est mon refuge, l'art a toujours été le lieu où j'ai pu disparaître sans périr.

     

    Écrire assurément est un art également car les mots appartiennent à la magie de l'être. Trop souvent galvaudés dans le discours des vanités, ils n'en sont pas moins les étoiles grâce auxquelles la nuit parfois trouve un chemin. Parfois. Parfois seulement.

     

    L'art est le ruisseau où coule la tristesse, où chante la joie, où frémit le plaisir, où hurle le désespoir.

    L'Art est l'océan d'où nous venons et dont la nostalgie taraude nos insomnies.

      

      


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    Notre société est malade. Rares sont ceux qui en disconviendraient. Mais le plus grave est que notre pensée soit, elle aussi, malade, congelée, anéantie.

    Je ne veux pas dire qu'il n'y a pas de penseurs... Je parle de tout un chacun, du citoyen lambda. Il me semble que la plus profonde maladie de notre société est justement c'est congélation de la pensée.

     

    La nécessaire libération des émotions qui s'est produite au cours des cinquante dernières années a été accompagnée d'une perte de pensée.

    L'émotion et le plaire sont devenus les moteurs sociaux. Publicités, alertes à la disparition, alertes météo, mobilisations télévisuelles pour les grandes causes, téléréalités, tout se situe aujourd'hui au niveau du sacré cœur, des larmes, du rire ou de la colère.

    Loin de moi, l'idée de mettre en suspens l'émotion et le cœur. Ils sont indispensables et nous ne les utilisons pas encore suffisamment bien. Moins que ne savent instinctivement le faire les animaux.

     

    Le problème n'est pas que nous écoutions notre cœur, mais que nous ne sachions plus faire que cela et, pire, ce n'est pas notre cœur que nous écoutons, mais ce que l'on nous donne à écouter comme ce qui doit être senti. Nous sommes manipulés par l'émotion commandée !

     

    Rien n'est plus déplorable et attristant qu'une campagne politique où ce sont les têtes, les démarches, les sourires, et hourras qui font la cote d'un candidat, faute de projet. Rien n'est plus dommageable au sort d'une société que de voir ses citoyens livrés aux jeux de sourires, de coups de foulards, de haussements de sourcils et de sondages

    L'absence de projet politique est une catastrophe grave pour une démocratie et la manipulation des émotions est devenue l'instrument politique le plus efficace pour nous conduire à l'isoloir.

    En d'autres termes, c'est une déroute de la démocratie à laquelle nous assistons, sans nous offusquer plus que cela, trompés par l'existence du vote universel, de parlementaires dument élus, d'institutions de contrôle et de pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) séparés, théoriquement.

     

    Nous dormons sur les lauriers de notre perte.

    Parce qu'il n'y a plus de pensée.

    Il y a quelques années, lorsque j'étais jeune, on arrivait face au monde et à l'âge adulte avec différentes théories à disposition pour comprendre le monde. Il restait à chacun de faire sa cuisine personnelle, son expérience et ses choix. Marxismes différemment interprétés, structuralisme, existentialisme, psychanalyse, anti-psychiatrie, féminisme, etc. Le panel de pensées était immense pour aider chacun à se construire son propre filtre de compréhension du monde. Tout regret est inutile; cette époque avait son compte d'excès et de manques ; les embrigadements étaient légion, les manipulations d'un autre ordre. Mais la comparaison peut aider à réfléchir.

     

    Ce qui caractérisait tout de même cette époque, c'est qu'il était difficile d'arriver à l'âge adulte sans se confronter d'une manière ou d'une autre, et quelle que fût la classe sociale à laquelle on appartînt, à ces courants de pensée pour se « positionner ».

    Je ne crois pas que les jeunes aujourd'hui réfléchissent moins que ceux d'hier, au contraire. Rien ne leur est acquis : ils sont contraints de se poser des questions face au monde qui leur est proposé. Les révoltes qui parsèment le monde le disent bien.

     

    En revanche, ce qui manque douloureusement aujourd'hui, ce sont des sources de débat, c'est l'existence même de débat théorique grâce auquel construire un autre monde. A l'inverse des animaux, les humains ont besoin de pensée pour ne pas sombrer dans la barbarie.

     

    La gauche au pouvoir, cédant aux modes de séduction au même titre que la droite, a tué la pensée politique de son bord. L'économie a gagné sur la politique parce que celle-ci s'est démissionnée face à la « nécessité économique ». Le libéralisme a gagné parce que la pensée politique l'a laissé gagner.

     

    Il est donc indispensable, urgent, de construire, au niveau de la « base » comme on disait dans ma jeunesse, des structures de pensée, de débat. Les cafés philosophiques étaient un symptôme et un symbole de ce besoin. Mais ils n'ont guère poursuivi leur tâche et n'ont touché qu'une petite frange de la société.

    Je me réfère à Jurgen Habermas pour prôner le débat, la discussion raisonnée, rationnelle comme moyen de reconstruire une vraie démocratie, une démocratie de citoyens sujets et non pas une démocratie de marionnettes soumises aux séductions publicitaires – y compris des hommes et femmes politiques. L'agora reste pour moi un magnifique symbole de la démocratie. Lieu où l'on débat, où l'on échange, où l'on cherche l'argument le plus juste pour construire une société digne de ce nom.

     

    Alors, apprenons à discuter, à échanger des arguments, à analyser, à se respecter en donnant la préséance aux arguments plus qu'aux jeux de pouvoir et de séduction ! Mais cela requiert de chacun une ascèse, un retrait des egos pour donner la préséance au bien commun, une mise en retrait de l'intérêt particulier pour trouver la forme à donner à l'intérêt général...

     

    Nous avons des guides en la matière, Socrate et Platon, Kant, Hanah Arendt, Jurgen Habermas et tous ceux que je ne nomme pas...

    Récemment, Stephane Hessel nous invitait à retrouver notre dignité en nous indignant, Edgar Morin à construire une voie, Susan George à enlever nos œillères occidentales...

     

     

    C'est un immense chantier. Ce texte n'est qu'un cri du cœur ! Car la pensée ne se construit pas sans cœur !

    Le cœur est la palpitation de la vie qui réclame que la pensée se développe pour éviter le pire...

      

      

     

     


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  • Apprentissage du dessin

       

     

    Cette question n'est pas initiale. C'est à force d'écrire que l'écrivant s'interroge. Est-il ou n'est-il pas écrivain, regardant son stylo ou son clavier avec autant d'angoisse que le célèbre héros de Shakespeare...

     

    Mais la raison a peu de raisons dans cette histoire. On ne choisit pas d'être écrivain, on le devient.

    Et le fait d'être édité ou pas ne change pas grand-chose à l'affaire. Bien évidemment, la quête de lecture est inhérente à l'écriture, tout comme le peintre aspire à ce que l'on contemple et commente son œuvre, tout comme tout artiste... Car l'art est une forme d'expression et comme toute expression, elle se donne à l'autre.

     

    Quant à savoir s'il faut opter pour la vie ou l'écriture, cette question ne se pose que tant que la vie est possible sans écrire. Le propre de ceux qui écrivent est que la vie leur reste en « incomplétude » s'ils n'écrivent pas. Il n'y a pas d'antinomie mais une intrication subtile entre vie et écriture.

     

    Bien évidemment, ces propos sont le résultat d'années de débats sur cette question. J'ai longtemps cherché à vivre... sans écrire, croyant que la vie relevait de l'intensité pure et l'écriture du fictif, du factice, de l'artifice. Mais cette question n'a plus lieu d'être pour moi : l'écriture est, non pas un substitut de la vie ni un exutoire, mais un amplificateur de vie, une lecture constante de la vie. Beaucoup de gens passent beaucoup de temps à déblatérer sur les autres et sur le monde et sur la politique et sur les saisons, etc. C'est ce qu'on appelle les conversations de café du commerce et nul ne se demande si ces gens vivent moins ou plus, ce faisant. Cela fait partie de leur discours sur la vie qu'ils vivent. L'humain est un être de langage : chacun a besoin de trouver le sien. Seul le moine ou l'ermite atteignent un niveau d'intensité intérieure où le langage et l'expression sont réduits à minima.

     

    L'écriture est une floraison qu'ajoute l'écrivain aux floraisons de la vie. Elle est aussi un sondeur d'océan que la vie ne donne pas toujours à voir. Le sentiment d'incomplétude permet justement ces plongeons et ces quêtes... qui ne sont pas hors la vie mais en sa face invisible.

     

    Être édité n'est donc qu'un épiphénomène à la passion d'écrire ; souhaité, souhaitable, mais non moins épiphénomène. L'écrivain doit toujours resté sur l'axe de son feu intérieur et non sur les feux follets de la reconnaissance – même si celle-ci fait du bien !

     


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